Double meurtre d’Aziw Dabala et de Boubacar Gano : Nabou Lèye a-t-elle été victime d’une justice populaire ?

Après deux mois et dix jours en détention, Marième Lèye dite Nabou Lèye a obtenu hier, une liberté provisoire assortie d’un placement sous contrôle judiciaire. Alors que la rumeur et la clameur publiques l’avaient déjà clouée au pilori, jugée et envoyée au bagne au moins pour plusieurs années, son dossier est-il en phase avec les certitudes des suiveurs de cette affaire ? Nabou Lèye est-elle impliquée dans le double meurtre du danseur Abou Aziz Ba et Dabala et Boubacar Gano alias Waly, autant que les racontars le disent ? Seneweb a décidé de passer à la loupe les éléments de ce dossier.

28 août 2024- Nabou Lèye vient d’être écrouée à la Maison d’Arrêt pour femmes (Maf) de Liberté 6. Pour une bonne partie des suiveurs du dossier, la décision du juge d’instruction de Pikine qui a placé la dame sous mandat de dépôt est une suite logique des faits. Puisque la mise en cause avait été dépeinte comme ayant activement joué un rôle dans les évènements ayant conduit au double crime de Pikine Technopôle. M. S. en embuscade aux abords du Tribunal de Pikine confiait avec une incroyable assurance :«Elle en sait plus qu’elle ne se soucie d’en dire…Forcément elle est impliquée… » Sa voisine, une fille au greffage en bataille, venue épier les évolutions du «cas» assure avec un sourire gourmand : «C’est une fille fatale. Je l’ai très tôt perçu chez elle. D’ailleurs elle a joué un rôle comme ça à l’écran. Ce n’est pas anodin ça… ». Les dés étaient déjà pipés, le sort jeté. Nabou Lèye passera sa première nuit en prison, sa culpabilité décrétée sur les réseaux sociaux.

L’enquête…

Après le double crime, l’enquête a pendant un temps été confiée à la Police de Pikine avant d’être dessaisie et confiée à la Division des Investigations Criminelles (Dic) plus expérimentée et plus outillée. Alors, la Brigade des Affaires Criminelles du Commissaire Cheikh Sadibou Diallo a pris le dossier en main, avec le sérieux et la célérité qu’il requiert, sous la supervision du Chef Dic, Adramé Sarr. Selon une source proche du dossier, les auditions des premiers témoins se sont succédé et ont apporté leur version. A ce moment-là, il s’agissait d’avoir la version de ceux qui avaient découvert le crime. Nabou Lèye émergeait au premier rang. Elle expliquait que si elle était venue au domicile de son ami Aziz, c’est bien parce qu’une de ses amies, établie à l’étranger l’avait contactée pour lui demander des nouvelles d’Aziz. Car elle venait de lui faire un envoi d’argent et qu’elle avait vu qu’Aziz n’avait pas récupéré l’argent. Et pis encore, il n’était plus joignable et avait fini par ne plus être connecté. Elle avait donc demandé à Nabou d’aller vérifier. Nabou, pour sa part, ne pouvait manquer d’être inquiète car deux jours auparavant, elle avait vu Aziz malade et l’avait même conduit à une clinique où il avait reçu une perfusion. C’est donc naturellement qu’elle est allée chez Aziz après avoir tenté, sans succès, de l’avoir au téléphone. Devant l’appartement, elle a sonné plusieurs fois et a réessayé d’appeler Aziz dont le téléphone ne sonnait plus. C’est là qu’elle a appelé des membres de la famille d’Aziz pour s’enquérir de la situation. Ceux-ci n’en savaient pas plus qu’elle. Nabou Lèye s’est donc attachée les services d’une connaissance travaillant dans la police et celle-ci lui a indiqué qu’il fallait que sa famille soit présente avant que la porte d’entrée du studio ne soit forcée. Avec l’aide d’un menuisier et en présence de membres de la famille d’Aziz, la porte a été forcée.  C’est là que le corps du jeune garçon Gano qui vivait avec Aziz a été découvert.

La police découvre le corps d’Aziz

Après cette découverte macabre, ceux qui étaient là ont appelé la Police qui leur a demandé de quitter les lieux avant de revenir pour geler la scène du crime. A ce moment-là, personne ne savait que Aziz était lui aussi mort, dans la chambre. C’est la Police qui a fait la découverte de son corps sans vie.  

Dans leurs investigations, les enquêteurs de la Dic ont entendu tout le voisinage immédiat et les personnes ayant découvert le crime. Nabou Lèye a été entendue à deux reprises et a toujours été relâchée. La police n’ayant jamais jugé utile de la placer en garde à vue. Celle-ci est intervenue après sa troisième audition. L’enquête avait jugé qu’il y avait une contradiction dans ses déclarations. En effet, elle avait déclaré que la nuit du dimanche (soir du crime), elle était rentrée chez elle peu après 22 heures et n’en était pas ressortie. Alors que son téléphone portable avait été borné sur les lieux du crime entre minuit et minuit et demi. Une source proche de l’enquête souffle : «C’est à partir de là que tout est parti en vrille. Les relevés de l’opérateur de téléphonie mobile disaient exactement que Nabou Léye était bien à son domicile le soir du crime, comme du reste elle l’a toujours soutenu. Ce qui s’est passé c’est que les policiers, au lieu de lire 12 heures comme midi, l’ont lu 12 heures comme étant minuit. Ce qui, à ce niveau, est une bourde monumentale», dit-elle.

Qui a laissé essaimer dans la presse et les réseaux sociaux que Nabou Lèye était sur les lieux du crime à minuit ?

La même source renchérit : «ceux qui avaient cette information, c’étaient ceux qui étaient chargés de l’enquête. Comment des personnes qui se disent influenceurs ont pu, alors que l’enquête n’était pas bouclée, savoir ce que disaient les données de l’exploitation du téléphone de la mise en cause ? Comment ces personnes ont pu, comme des automates et des caisses de résonance, répéter les mêmes bourdes que les enquêteurs », s’interroge notre interlocuteur avant de poursuivre. « C’est là où le bât blesse. Car une personne était, à ce moment-là, du fait de ces graves errements qui, à la limite sont de la faute professionnelle, servie sur un plat à la vindicte populaire, sans qu’elle ait la possibilité de se défendre. Car étant en garde à vue», tonne-t-il.

La même rumeur méchante rajoutait de l’huile sur le feu en assurant, sans ciller, que Nabou aurait conduit Aziz Dabala à un « Thiant ». Où il se serait violemment accroché avec des assaillants. Là encore, la même source déballe: «Fadaises que cela. Jamais, il n’y a eu de « Thiant » dans ce dossier. Personne n’y est allée et Aziz n’a jamais eu d’accrochage avec qui que ce soit, la veille ou les heures précédant sa mort», renseigne-t-il.

La famille de Nabou Léye, l’incroyable retenue

Alors que leur fille subissait de toutes parts les assauts d’une justice populaire, la famille de Nabou Léye n’a jamais communiqué dessus, préférant laisser la justice faire son travail. Jamais un traître mot n’a fuité de leur part. Jamais ils ne se sont épanchés dans la presse, préférant laisser la Justice suivre son cours normal. Pourtant, il y avait matière à sortir de ses gonds alors surtout que les déclarations les plus audacieuses avaient été faites. Et que des personnes éloignées de l’enquête juraient, la main au cœur, que la danseuse était l’instigatrice du double meurtre. La foi chevillée au corps, sa famille avait estimé que la vérité finirait par triompher…Un peu plus de deux mois après, Nabou bénéficiait d’un contrôle judiciaire.

 Une bonne lecture du dossier par des magistrats

L’affaire, expurgée des ouï-dire, des certitudes absolues, des théories complotistes, a-t-elle un élément à charge contre Nabou Lèye ? Si on en croit la décision que vient de prendre le juge d’instruction, à la demande de ses avocats, on peut dire que non. Notre source de poursuivre: «notre justice a ses insuffisances certes. Mais nous avons de bons magistrats qui lisent les dossiers et prennent, en toute responsabilité, des décisions qui s’imposent. Si le placement sous mandat de dépôt se justifiait pour calmer la clameur, objectivement rien ne permet lie Nabou à ce double crime. D’ailleurs, le principal mis en cause a impliqué son propre oncle. S’il en a été jusque-là, pourquoi n’a-t-il pas impliqué Nabou si elle avait participé aux faits ayant conduit au double crime ? Au nom de quoi impliquerait-il son oncle et dirait-il qu’il n’a jamais vu, ni connu Nabou Lèye ? La solution la plus facile pour lui aurait été de dire que c’est Nabou qui est impliquée, si tel était le cas. S’il ne l’a pas fait, c’est que rigoureusement, elle n’est pas impliquée », a raisonné notre source.
SENEWEB