Le collectif des féministes du Sénégal prévoit un sit-in inédit le 31 décembre, en dénonciation des violences faites aux femmes et aux filles. L’appel à manifester demande à toutes les participantes de venir… nues. Une initiative qui suscite un débat houleux sur la légalité et l’impact de cette démarche dans un pays aux normes sociales et juridiques rigoureuses.
Une revendication urgente pour les droits des femmes
Les organisatrices souhaitent attirer l’attention sur des problèmes cruciaux comme le viol, la pédocriminalité et les lacunes dans l’application des lois protégeant les femmes. Amy Libain Mbengue, militante contactée par Seneweb, insiste sur l’importance de cette mobilisation :
« On fera ce sit-in comme l’ont fait les femmes de la Casamance en 2023 pour réclamer des mesures fortes et urgentes afin de protéger les femmes et filles de ce pays. On veut que le Code de la famille change, que le Protocole de Maputo soit appliqué et qu’il y ait de réelles mesures pour lutter contre le viol et la pédocriminalité au Sénégal. »
Cependant, le choix du « dress code » pose une question sensible, car il se heurte aux lois et aux normes culturelles locales.
Ce que dit la loi sénégalaise
Un avocat interrogé par L’Observateur a précisé les implications juridiques de cette initiative :
1. Outrage public aux bonnes mœurs :
La nudité en public constitue une infraction au Sénégal, passible de poursuites immédiates. Les participantes risquent d’être inculpées pour « attentat à la pudeur » et « outrage public aux bonnes mœurs », des délits sévèrement sanctionnés.
2. Diffusion d’images sensibles :
Si des photos ou vidéos de la manifestation circulent sur les réseaux sociaux, les participantes pourraient être poursuivies pour « diffusion d’images contraires aux bonnes mœurs ». Cette infraction est punie par une peine d’emprisonnement de 1 à 2 ans et une amende allant de 25 000 à 300 000 francs CFA.
3. Manifester dans un lieu privé :
L’avocat rappelle que si la manifestation se déroule dans un espace privé, les participantes échappent aux sanctions tant qu’aucun acte illégal n’y est commis. Cependant, même dans ce cas, la diffusion de contenu visuel pourrait entraîner des poursuites.
Entre provocation et mobilisation
L’initiative du collectif divise l’opinion publique. Si certains saluent le courage des militantes pour dénoncer des sujets souvent minimisés, d’autres estiment que cette méthode est inappropriée dans un pays aux normes socioculturelles conservatrices.
Le Sénégal, majoritairement musulman, valorise des principes de pudeur et de décence, profondément ancrés dans ses traditions. Une manifestation de ce type risque d’être perçue comme une provocation, ce qui pourrait détourner l’attention des revendications légitimes des féministes.
Les revendications féministes : un combat légitime
En dépit des débats sur la méthode, les revendications portées par ce mouvement sont essentielles :
• Révision du Code de la famille : les militantes réclament des lois plus équitables en faveur des droits des femmes.
• Application du Protocole de Maputo : ce traité africain sur les droits des femmes reste sous-exploité au Sénégal.
• Lutte contre les violences sexuelles : les militantes appellent à des mesures fortes et urgentes pour protéger les femmes et les filles, victimes de viols et d’abus.
Quel avenir pour cette mobilisation ?
L’initiative, bien que risquée, pourrait attirer une attention nationale et internationale sur les problématiques soulevées. Cependant, elle expose aussi les militantes à des sanctions judiciaires et à une stigmatisation sociale.
Pour conjuguer efficacité et légalité, le collectif pourrait devoir repenser ses moyens d’action. Le défi reste de faire entendre leurs voix tout en respectant les lois locales, dans un contexte où les droits des femmes peinent encore à être pleinement reconnus.
Cette mobilisation féministe marque une tentative audacieuse de dénonciation, mais pose la question du juste équilibre entre provocation et plaidoyer dans un environnement socioculturel et juridique contraignant. Reste à voir si ce message sera entendu au-delà des controverses sur la forme qu’il emprunte.