Depuis l’accession de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal, ses deux épouses, Marie Khone et Absa Faye, gagnent en visibilité sur la scène publique. Longtemps restées dans l’ombre, elles multiplient désormais les initiatives caritatives, suscitant admiration et interrogations.
Récemment, Marie Khone s’est rendue dans son village natal, Ndiaganio, où elle a offert des denrées alimentaires aux habitants et du matériel médical à la structure sanitaire locale. De son côté, Absa Faye a visité la pouponnière de Mbour, promettant de relayer les doléances des responsables au chef de l’État et plaidant pour la construction de nouvelles pouponnières.
Ces apparitions médiatiques ont relancé le débat sur le rôle et la place des Premières dames dans l’appareil d’État. Sur les réseaux sociaux, certains les accusent de vouloir reproduire le modèle de Marième Faye Sall, l’épouse de l’ancien président Macky Sall, tandis que d’autres saluent leur engagement. Une vidéo virale de la journaliste Aïssatou Diop Fall évoque même une “concurrence†entre les deux épouses, appelant le président à clarifier leur position.
Une question de protocole et de tradition
Au-delà de la polémique, cette situation met en lumière un enjeu plus profond : l’adaptation du protocole d’État aux réalités socioculturelles du Sénégal. Jusqu’ici, la République s’est toujours conformée à une norme où le chef de l’État est accompagné d’une seule épouse lors des cérémonies officielles. Or, Bassirou Diomaye Faye assume publiquement sa polygamie et fait apparaître ses deux épouses dans ses déplacements, soulevant la question d’un ajustement des usages institutionnels.
Le professeur Jean-Louis Corréa, agrégé de droit, souligne que le protocole d’État s’est historiquement inspiré des coutumes républicaines occidentales, mais qu’il doit désormais prendre en compte les réalités sociales locales. « Dans une société où la polygamie est acceptée et pratiquée, la reconnaissance des deux épouses du président devient une nécessité pour éviter toute contradiction avec les principes de justice dictés par la religion et la culture », explique-t-il.
La comparaison avec la Gambie, où le président Adama Barrow a choisi de ne faire accompagner qu’une seule de ses épouses, montre que chaque chef d’État a sa propre manière d’intégrer sa situation matrimoniale au protocole.
Un vide juridique persistant
Si la présence des Premières dames dans la sphère publique fait débat, c’est aussi parce que leur rôle ne repose sur aucun cadre légal précis. De Senghor à Bassirou Diomaye Faye, les épouses des présidents successifs ont joué un rôle actif, souvent à travers des fondations, mais sans aucune reconnaissance officielle.
En 2014 déjà , le statut de Première dame avait été contesté, certains acteurs politiques rappelant qu’il s’agissait davantage d’une tradition que d’une fonction étatique. L’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye déclarait à l’époque : « C’est la coutume qui a consacré la Première dame. Dans tous les pays, les épouses des chefs d’État mènent des actions sociales. »
Ce flou juridique alimente les critiques, notamment sur le financement de leurs activités. Sans budget officiel ni cadre réglementaire, les actions caritatives des Premières dames restent à la discrétion de la présidence, soulevant des interrogations sur leur légitimité et leur transparence.
Vers une évolution des pratiques ?
Le Sénégal doit-il adapter son protocole pour tenir compte de la polygamie du président ? Faut-il donner un statut officiel aux Premières dames pour encadrer leurs actions ? Ces questions restent ouvertes.
Le professeur Corréa estime que l’« occidentalisation des institutions ne devrait pas se faire au détriment des traditions et des valeurs indigènes ». Ce débat dépasse le cadre national et pose la question plus large de l’adaptation des États africains à leurs réalités culturelles et religieuses.
En attendant une éventuelle clarification légale, Marie Khone et Absa Faye poursuivent leurs engagements, sous le regard attentif d’une opinion publique partagée entre scepticisme et approbation.