Par Mamadou Gomis, auteur-photographe, chercheur, fondateur de la Fédération africaine sur l’art photographique (Faap) et membre fondateur de l’Union nationale des photojournalistes du Sénégal (Unpjs)
L’Afrique est-elle en train de perdre son essence artistique ? Ses commissaires d’exposition, critiques d’art, conservateurs et autres acteurs culturels semblent davantage absorbés par des agendas personnels complexes, détournés des préoccupations du continent et de son patrimoine culturel. Trop souvent, ces figures du milieu artistique, dans une quête effrénée de reconnaissance internationale, se montrent plus soucieuses de leur confort, de leur visibilité et de leurs financements, au détriment du développement de l’art africain. Ils se retrouvent ainsi piégés dans un système de galeries, musées et centres d’art où, comme des mercenaires culturels, ils exposent une image déformée de l’Afrique.
Des acteurs culturels aux influences dévoyées
Au sein de collectifs influents ou de réseaux privés, ces acteurs semblent orchestrer un discours artistique qui renforce la domination occidentale et déforme le contexte culturel africain. Ils organisent des expositions et ateliers marqués par des idées de soumission, où les récits audacieux, bien que séduisants, manquent de crédibilité et de profondeur. Cette orientation, presque virale dans sa propagation, semble transformer le milieu artistique africain en un outil de manipulation, jouant sur les émotions des jeunes artistes africains. Les jeunes, sensibles aux injustices et en quête de reconnaissance, sont alors conduits à adhérer à un discours formaté et normé, dont l’objectif implicite est de maintenir une forme de dépendance culturelle.
Une complexité organisée pour mieux dominer
Gomis souligne la notion de « complexité » comme un mécanisme de contrôle. En enrobant leurs actions d’un vernis de sophistication, certains acteurs rendent difficile la détection de leurs véritables intentions. En réalité, il s’agit d’une oligarchie artistique, œuvrant de manière subtile pour maintenir l’Afrique dans un état de soumission culturelle. Cet agencement complexe permet à ces figures de se faire accepter, alors même qu’elles minent la reconnaissance de l’Afrique, sa dignité et sa richesse culturelle.
L’art africain face au défi de l’émancipation
L’auteur plaide pour un réveil des acteurs de l’art africain, les invitant à rompre avec cette résignation et à se libérer de tout complexe. L’art africain mérite une place d’égal à égal dans les médias, les écoles et les universités. Trop souvent, les grands festivals et biennales internationaux, comme les festivals de photographie contemporaine, véhiculent des récits partiaux et déformés, où des thèmes tels que la décolonisation, l’identité ou le panafricanisme sont exploités à des fins commerciales. Sous couvert d’« africanités », ces événements diffusent une vision négationniste de la réalité africaine, conférant à l’art africain un caractère folklorique et caricatural.
Reprendre le contrôle du récit visuel africain
Pour Gomis, la maîtrise du récit visuel est cruciale pour restaurer la dignité africaine. L’art ne doit pas se résumer à des images manipulées par des commissaires ou des conservateurs dépendants de financements étrangers. Les photographes, sculpteurs, musiciens et autres créateurs africains doivent se réapproprier leurs œuvres et leur signification. Ce contrôle du récit visuel est essentiel pour contrer les travers de l’intelligence artificielle et des discours manipulés, qui pourraient sinon se transformer en un instrument de « dictature » visuelle.
Pour une insoumission positive et une fraternité artistique
Gomis appelle à une insoumission positive, où chaque œuvre d’art doit être une célébration du respect mutuel et de la dignité humaine. Cette vision ne se limite pas à une révolte contre les dérives de l’art contemporain ; elle aspire à instaurer des rapports fondés sur la fraternité et le respect. Dans cette démarche, l’art africain peut enfin se libérer des clichés et des discours de soumission qui l’ont longtemps asservi.
Un appel à l’émancipation et à la fierté culturelle
L’article se conclut par un appel à redécouvrir l’art africain dans toute sa splendeur, à travers des sculptures, des masques, des musiques, et des traditions qui transcendent les frontières. Gomis nous invite à préserver et à célébrer ces trésors culturels avec une fierté libérée des influences mercantiles et colonialistes. En résistant aux acteurs qui exploitent l’image de l’Afrique pour leur propre profit, l’art africain peut enfin s’épanouir pleinement et participer à la construction d’un avenir où le respect et l’intégrité culturelle sont à l’honneur.